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centre de recherche sur la gratuité

LA FIN DU PRINCIPE D'ÉQUIVALENCE


Il se produit aujourd’hui, une rupture de la loi de proportionnalité entre effort individuel et rémunération. Le revenu est en voie de ne plus être fonction de la quantité de travail fourni pour devenir fonction de la quantité de richesse que la société décide de produire.
Le travail abstrait, quantifiable, mesurable, disparaît. Les nouveaux travailleurs doivent savoir s’adapter en même temps qu’entreprendre, maîtriser les flux d’information, être habitué à la mobilité, mobiliser leur attention et mettre en oeuvre leur subjectivité. Ils appartiennent à cette culture des grandes métropoles exigeant un comportement à la fois réactif et opportuniste. Leurs affects, leurs désirs, leurs opinions, leur capacité d’expression autant que leur vie biologique deviennent des éléments centraux de la valorisation économique.
Le travail immatériel traite en effet, de nouvelles matières telles que les goûts (mode), des opérations intellectuelles (production de logiciels), des façons de voir (graphisme, audiovisuel, images), de vivre (aménagement du territoire), de penser (journalisme), d’habiter (journalisme). «La matière première du travail immatériel est la subjectivité et l’environnement - idéologique - dans et par lequel la subjectivité vit et se reproduit. La production de subjectivité cesse alors d’être seulement un instrument de contrôle social (pour la reproduction des rapports marchands) et elle devient directement productive. (…) Que le travail immatériel produise en même temps subjectivité et valeur économique démontre seulement comment la production capitaliste a envahi toute la vie et brisé toutes les barrières qui, non seulement séparaient mais aussi opposaient économie, pouvoir et savoir.» (A. Corsani, M. Lazzarato, A. Negri, Y. Moulier-Boutang, Le bassin de travail immatériel (BTI) dans la métropole parisienne, L’Harmattan, 1996, p. 83).
Or ces nouveaux éléments de valorisation sont des qualités acquises en dehors du travail, dans la formation, les pratiques urbaines, le travail domestique, les pratiques relationnelles (amicales, familiales, amoureuses) et les pratiques de consommation, à travers le loisir ou le chômage. De ce fait on peut considérer ces éléments de valorisation comme autant d’externalités positives (1). Ces externalités doivent aujourd’hui être rémunérées. Cette rémunération pourrait prendre la forme d’un revenu d’existence financé par l’État ou directement par les entreprises…

une société de l’expression
La prise de conscience par chacun de son besoin d’expression latent et la mise en oeuvre de travail coopératif gratuit s’intensifie dans l’ensemble de la société. L’enjeu devient alors de ne pas retirer aux hommes et aux femmes leurs capacités d’expression et de coopération, de la même façon que dans le passé ils ont été dépossédés de leur travail. Les récents débats autour du copyleft et de Napster, les rapports de force entre droit d’auteur français et copyright anglo-saxon, les vieux débats autour de l’exception culturelle, indiquent les zones d’appropriation et de contrôle des profits d’une société de l’expression dans laquelle la production culturelle est un marché clé.
Or, l’auto-production et l’auto-diffusion de l’expression, la création autonome de normes, de formes et de savoirs, entrent en concurrence et déstabilisent les monopoles constitués de la production immatérielle et culturelle. L’économie du don mise en oeuvre par les créateurs de logiciels gratuits, donnant allègrement leur code sur internet, met en crise l’éthique utilitariste et instaure de nouvelles formes d’échanges non-marchands et non monétaires.
Répétons-le : la garantie d’un revenu de base, d’un revenu d’existence ou d’un revenu de citoyenneté, autrement dit, l’instauration d’un droit au revenu rémunère les externalités positives générées par les nouveaux travailleurs de l’immatériel et de la coopération. Un tel revenu est un multiplicateur de ces activités coopératives et expressives : activités artistiques, politiques, scientifiques, sportives, artisanales, relationnelles, écologiques, aménagement du cadre de vie, réseaux d’échanges de savoirs et de services, création immatérielle… autant de manifestations d’une société de l’expression en voie d’émergence.

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(1) Pigou définit l’externalité de la façon suivante :"Une personne A, en rendant un service, pour lequel un paiement est acquitté, à une seconde personne B, rend incidemment des services ou cause des dommages à des tierces (qui ne les produisent pas) de telle sorte qu'un paiement ne peut en être tiré des bénificiaires ni des compensations pécunières déboursées au profit des personnes lésées".(cité dans Y. Moulier-Boutang, La revanche des externalités. Globalisation des économies, externalités, mobilité, transformation de l’économie et de l’intervention publique). Autrement dit, «il y a des externalités chaque fois qu'il y a interdépendance des fonctions de production et de consommation des producteurs et des consommateurs et que le système des prix cesse d'être l'unique agent d'information et de mise en rapport des agents» (Y. Moulier-Boutang).

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