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centre de recherche sur la gratuité

BILAN SUR LA ZONE DE GRATUITÉ DE PARIS


bilan sur le fonctionnement de la zone de gratuité - mai 2000


Nous avons installé, avec le soutien de la galerie Jorge Alyskewycz, à partir de la fin du mois de mars 1999, une zone de gratuité à Paris sous le nom de “Free Land”. Dans un tel espace, l’intention était de mettre à disposition des biens, des propositions de services ou des informations, de façon inconditionnelle. Toute personne peut entrer, déposer ou non quelque chose, prendre ou non quelque chose. Il n’y a pas d’obligation d’amener quelque chose pour prendre autre chose. Pour cela, nous n’avons pas besoin d’être présent dans l’espace, celui-ci ne requérant aucune surveillance du fait de sa gratuité.
L’espace est aménagé de manière simple. Surfaces de dépôt, mobilier à entrées multiples (“objets donnés”, “volés”, “trouvés”, “achetés”, “trouvés”). Journal lumineux. Miroirs, etc. Les flux d’objets modifient la forme même de l’espace, inscrivant du flou, de l’informalité, entre les apports que nous avons nous-mêmes faits (objets réalisés à partir de matériaux de récupérations, stocks de vêtements que nous avions achetés, incluant des interventions symboliques, objets trouvés et modifiés) et les apports des publics (mobiliers, machines, vêtements, déchets, biens alimentaires, livres, disques, etc.). Peu de propositions de services ont été effectué. Nous avons, pour notre part, mis en circulation des textes analytiques sur la gratuité, des documents sur la gratuité et des informations sur les formes de gratuité présentent dans notre environnement (services gratuits, bourse des déchets).
La zone de gratuité est active à la fois dans le champ de l’art et pour d’autres publics. Les personnes passant dans la zone de gratuité sont généralement interessées d’abord par de la mise à disposition inconditionnelle et gratuite de biens ou d’information. D’autres personnes viennent pour discuter sur l’échange ou l’économie en général. D’autres encore, pour venir voir la zone de gratuité en tant que projet artistique. La zone de gratuité n’est donc pas exclusivement un espace d’art ou de manifestation artistique. Il se passe d’autres choses, il y a d’autres publics et donc d’autres rencontres. Cette diversité des publics a été notamment provoquée par la diversité des supports médiatiques ayant diffusés de l’information sur la zone de gratuité. Canal + ou France 3 ont diffusé l’information en dehors des milieux culturels (ceux de France Culture, de Télérama, de Arte, de Radio-France Urgence). Ensuite, le bouche à oreille a fait son travail.
De nombreuses personnes sont étonnées qu’il puisse y avoir ainsi un espace ou tout est gratuit, meême si il y a peu de choses et que le doute persiste sur la valeur de ce qui est mis à disposition. Une chose gratuite pour le sens commun, c’est une chose douteuse dont on se méfie : comme s’il devait y avoir une embrouille quelque part. S’il y a des biens alimentaires on s’imagine aussitôt qu’ils sont périmés. Ou s’il y a un mobilier, une machine - un ordinateur, une table - on s’imagine qu’il ne marche pas, ou qu’il est cassé. Souvent on nous pose la question des motivations qui n,ous ont poussé à faire ce projet : comment nous vivons, comment l’espace est financé dans son fonctionnement. Il y a un doute persistant sur la bonne foi de ce projet (dans le fond, nous serions interessés, et, comme le dit Paul Ardenne dans un article, nous ferions de la gratuité notre fond de commerce). Tout cela a des traces de vérité. Il est vrai que certains produits qui se sont trouvés dans la zone de gratuité étaient périmés. Il est vrai que d’autres ne fonctionnait pas. Il est vrai aussi qu’il y a eu des retombées pour nous et qu’en ce sens, ce projet n’était pas entièrement gratuit dans ses motivations, puisque nous en tirions du profit.
Mais à notre sens ces approches sont d’abord interessantes pour ce qu’elles révèlent : un à priori que toute attitude ou tout projet se fait suivant un intérêt, suivant des buts, une recherche de profit. Il y a une grande régularité dans les mentalités : “la gratuité, ça n’existe pas”, “rien n’est gratuit”, “comment vous vivez ? il faut bien travailler!”, etc.
La banalité, la quotidienneté même du projet, le fait de vivre et de travailler à proximité de cet espace, d’y voir passer des gens, de parler avec eux, ou de les laisser faire leurs petites affaires, enlève une bonne partie de ce calcul et de cette rationalité des comportements qu’on croit ou qu’on cherche à percevoir dans la zone de gratuité. Cet espace a sa propre dynamique; c’est une expérience dont nous ne connaissons pas entièrement les tenants et les aboutissants. Nous attendons des publics qu’il contribuent à la définition même de l’espace, qu’ils le co-produisent avec nous en lui donnant un sens, une fonction ou une absence de fonction. Avec le temps nous avons décelé un certains nombre de limites et de lacunes, de critiques pertinentes. Nous nous sommes aperçus que nous avions amorcé la zone de gratuité de façon trop classique sans faire suffisamment d’incursion dans certaines de ses potentialités : l’acte gratuit, l’exercice de la pensée et de l’activité symbolique. Nous nous sommes aperçus qu’aucun geste gratuit n’avait été fait dans l’espace. Que - mis à part une fois - personne n’était veus dans l’espace pour prendre tout ce qui s’y trouvait. Que nous avions cherché à combler l’évidence de la gratuité, par l’écriture de règles et de définitions. Que certains des objets - notamment ceux installant l’espace - les surfaces de dépôts, n’étaient pas assez clairement indiquées comme gratuites, et susceptibles d’être prises. Que certains projets s’avéraient inéfficaces ou ingérables -) comme le prêt de vêtement U.C.O. de Céline van den Bossche, qui dans le principe proposait seulement du prêt gratuit pendant un tempos donné, et en réalité a donné lieu à de la gratuité pure et simple, une grande partie des vêtements empruntés n’ayant jamais été restitués, etc.
Pour résoudre certaines de ces lacunes, nous voulons faire de nouvelles expériences : est-il possible de faire fonctionner une zone de gratuité à l’extérieur, dans l’espace urbain, et que le public qui passe, les gens du quartier, la fasse fonctionner en absnece de toute médiation (telle que celle que nous pratiquons à la zone de gratuité de Paris)? Suite à une invitation de l’espace Jules Verne de Bretigny-sur-Orge, nous avons pu installer un tel mobilier dans l’espace urbain. Nous avons voulu également développer une zone de gratuité attaché plutôt au transit des savoirs, des expériences et des récits à Rennes. Ce projet a malheureusement échoué pour diverses raisons. De nouvelles possibilités aujourd’hui se présentent qui nous permettront de faire de nouvelles expériences sur la présence et la résistance de biens, de comportements ou de pensées gratuites au sein même de la rationalité de nos conditions de vie.

mai 2000

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