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centre de recherche sur la gratuité

DROIT DES CHOSES GRATUITES ET COMMUNES


Dans le droit romain, les Res Communis sont les biens qui ne peuvent être gérés et protégés que par la communauté. Ils sont soustraits à l’appropriation parce qu’ils sont affectés au service public (Res Publicae) ou plus généralement à tous le genre humain (Res universitatum). Ils définissent ce qui retourne de la raison humaine, de la même façon que les Res Sacrae, les Res Religiosae ou les Res Sanctae retourne de la raison divine : les choses sacrées (Res sacrae) sont hors commerce et ne peuvent être aliénées. Elles ne sont à personne. Ce sont des biens sans maîtres, des Res nullius («Les choses sacrées, religieuses et saintes ne sont à personne (nullius)» Justinien, Institutes, L. II, § 7), et les mortels doivent les respecter.
Les Res Sacrae et les Res Publicae peuvent être séparées (“rend à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu”) ou être conjoints dans la mise à disposition du Domaine terrestre faite par Dieu à l’homme ou encore, dans l’incarnation de Dieu dans l’Empereur, fondement ultime du droit. De ce fait, les Res communis ne doivent pas obligatoirement être rapportée à un service public qui les gère et les protège : de même qu’on peut séparer ou emboîter Res Sacrae et Res CPublicae, on peut séparer ou emboîter Res Publicae et Res Communis. Emboîtés, les biens communs appartiennent et sont constitués, contrôlés et réglementés par l’État ou par une constituante. Lorsque les choses communes sont encastrées dans la chose publique , le monde environnant comme Res Communis est rapportée comme à son maître, à la Res Publicae qui en décide et en dispose absolument (socialisme d’État). L’encastrement peut également adopter une forme plus faible avec le socialisme coopératif (tous les consommateurs sont organisés en coopératives de consommation organisant par des “coopératives du deuxième degré” (Charles Gide) le processus de production et de distribution).
À ses confins, l’intrication des Res communes et des Res publicae retourne d’une communauté d’appartenance - le genre humain - et touche les limites du monde. La notion d’intérêt générale s’appuie sur la subjectivité d’une espèce et de ses droits (droits de l’homme), et celle de Res communes sur celle de patrimoine mondial géré et mis en oeuvre par le genre humain. Tout se passe donc comme si l’humanité était un projet pour la terre dont les droits de l’homme serait le programme. La notion d’intérêt général se présenterait comme un principe rationnel universel servant de fonds à l’empire mondial légal-rationnel. Normalement saisi par tous du moins éclairé par le fonctionnaire et défini par le législateur, sa mise en oeuvre requiererait la coopération volontaire ou contrainte des individus ou des organisations. La loi - autrement dit la voix de l’intérêt général - s’appliquerait à la fois par l’exercice de l’État et par l’opération d’une double veille : celle de l’individu qui se contrôlerait lui-même (qui intègrerait et appliquerait spontanément la norme) et celle de l’instance statistique (suffrage et sondage) qui administrerait les normes.
Dans l’État républicain moderne français, on peut distinguer quatre régimes de choses communes : les biens communaux (art. 542, Code civil), les choses communes corporelles (Code civil, art. 714), le domaine public, les choses communes incorporelles. Les biens communaux sont ceux à la propriété ou aux produits desquels les habitants d’une ou de plusieurs communes ont un droit acquis. Ces biens communaux représentent en France, quelque 60 000 km2 : ils sont à la disposition exclusive de la commune concernée laquelle ne peut en disposer. Ils constituent donc la propriété collective des habitants de la commune et non la propriété communale. Et c’est probablement en pensant aux biens communaux que la Chambre criminelle de la Cour de cassation a déclaré que “la soustraction par l’un des communistes d’une chose commune, constitue un vol” (27 février 1836).
Les choses communes sont aussi des éléments naturels comme l’air, l’eau, la lumière du soleil, les espèces animales et végétales ou encore des choses incorporelles, culturelles, informationnelles ou spirituelles (idées et mots, notes de musique, etc.). La Res Communis comporte une double face : elle est exploitée pour le profit de tous et doit être préservée pour continuer à être utilisée pour le profit de tous. “Dans le cas des données communes (idées, découvertes scientifiques, mots), chacun ayant un droit sur les mêmes données, nul ne peut en interdire l’accès à autrui. Nul n’a réciproquement, besoin d’une autorisation pour les utiliser” (Isabelle Moine, Les choses hors commerce, LGDJ, 1997, p. 364). Ce ne sont pas des Res Nullius à la façon des choses communes corporelles telles que l’air ou l’eau de mer qui peuvent être acquises par occupation, mais des Res extra-commercium.
Les choses communes naturelles sont mises en gestion et en administration auprès des pouvoirs publics et souvent intégrées implicitement ou explicitement au domaine public “naturel”. “Les chemins, routes et rues à la charge de l’État, les fleuves et rivières navigables ou flottables, les rivages, lais et relais de la mer, les ports, les havres, les rades, et généralement toutes les portions du territoire français qui ne sont pas susceptibles d’une propriété privée, sont considérés comme des dépendances du domaine public. Code Civil, Livre II - Des biens, Titre I - De la distinction des biens, Chapitre III, Des biens dans leurs rapports avec ceux qui les possèdent, Art. 538
Le rivage de la mer, loin de constituer une Res Nullius, fait partie du domaine de l’État qui en est propriétaire; est donc un vol le fait d’extraire sans autorisation du sable sur une plage, Chambre criminelle de la cour de cassation, 23 octobre 1980)
En assumant la gestion des choses communes et de l’intérêt général, la République est dans l’obligation constitutionnel d’assurer l’existence des citoyens de sa juridiction. De ce fait, il offre de façon libre et gratuite différents services publics (santé, éducation, voirie, …), étendant progressivement sa capacité providentielle : dans le droit français «la possibilité de pouvoir disposer d’un logement décent» a été reconnu récemment comme «un objectif à valeur constitutionnel» (Conseil constitutionnel du 19 janvier 1995). La mise en oeuvre de ce droit entre cependant en contradiction avec le droit de la propriété, et dans le cas de non paiement de loyer, une expulsion locative est prononcée. Le squattage d’habitation d’espaces reconnus vacants au contraire a reçu un début de reconnaissance par les pouvoirs publics (Loi Besson). À l’inverse cependant, et ce, malgré que le Conseil d’État ait reconnu le “principe de l’usage gratuit des voies publiques ouvertes à la circulation générale” (arrêts du 2 octobre 1985), et que la Loi du 30 juillet 1880 interdisait les ponts à péage en élevant au rang de principe constitutionnel le principe de la gratuité de circulation sur les routes nationales et départementales, le Législateur a autorisé l’institution de péages sur les autoroutes concédées (Lois du 18 avril 1955 et du 12 juillet 1979; Code de la voirie routière, art. L 122-4 et 153-1). De plus, la voirie publique terrestre est largement soumise au stationnement payant. Or, ce dernier n’est justifié par aucun service rendu par les autorités municipales.
Le principe de la gratuité a moins encore que pour la voirie, été appliquée aux usages collectifs du domaine public : si les plages sont d’usage libre et gratuit (Loi littoral du 3 janvier 1986, art. 30), il n’en va pas de même du domaine public fluvial et portuaire. Contrairement à l’opinion de certains juristes du XIXème siècle selon lesquel, l’État ne peut être considéré comme un propriétaire puisqu’il ne dispose que d’un droit de garde de biens laissés en ses pouvoirs par le peuple, l’État français est aujourd’hui largement reconnu comme un propriétaire public et privé. La notion de Res Communes, et de biens à l’usage de tous est saisie par les contraintes de gestion et d’administration de la Res Publicae…

JUILLET 2001

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