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centre de recherche sur la gratuité

NOTES SUR LE TRAVAIL GRATUIT


Certaines activités de consommation sont directement liées au travail rémunéré (par exemple, se déplacer pour aller à son travail) : ce sont des activités de pur moyen pour arriver à une fin. Mais elles en sont dissociées ou du moins ne sont pas considérées comme faisant partie intégrante du temps de travail. Elles le sont parfois partiellement comme en témoigne le remboursement des frais de transport des salariés par les entreprises. Par contre, une sphère immense d’activité n’est pas considérée comme pur moyen en vue d’arriver à une fin : il en est ainsi de l’alimentation et de l’entretien de soi dont les conséquences sont pourtant immédiates sur la qualité du travail effectué.
On peut donc considérer comme travail gratuit toute l’activité d’entretien de soi et d’une certaine façon toute activité de consommation.

Il est bien rare « qu’on ne découvre pas dans n’importe quel bien de consommation une part d’activité de production émanant du consommateur. A la limite, tout acte de consommation serait toujours précédé d’un acte de production aussi minime soit-il. »(Gabriel Poulalion, Revenu et consommation discrétionnaires, Droz, 1975, p. 41).
«À priori, il revient au même que la maîtresse de maison achête la mayonnaise en tube ou qu’elle la confectionne selon la bonne vieille méthode traditionnelle; pourtant dans ce dernier cas, elle rentre en concurrence avec les fabricants de mayonnaise en tube. Aussi confondre toute activité non rémunérée avec le loisir est une simplification peu acceptable»(Gabriel Poulalion, Revenu et consommation discrétionnaires, Droz, 1975, p. 41).

Une telle personne fabriquant une mayonnaise, pourrait-elle considérer son activité comme un travail susceptible éventuellement d’être rémunéré ? De quelle façon considérer que le travail que l’on fourni comme consommateur doit être conçu comme un travail digne d’être rémunéré ?
Lorsqu’on achête un bien, sa valeur est toujours entendue de façon discontinue. En effet, ce pantalon aura un prix et une valeur au moment ou je l’achête ou au moment ou je le revend et non dans le temps intermédiaire. C’est en ce sens que le système de production a raccourci le temps d’usure des produits, afin de gagner sur leur temps de consommation puisque la valeur des produits ne sera, à chaque fois évalué qu’au moment des transactions marchandes. De ce fait, les biens ne se consomment pas et la valeur produite (valeur d’usage) entre la valeur à l’achat et la valeur nulle ou négative à la destruction, n’est pas relevée. Pourtant cette valeur est l’effet d’un travail … de consommation.
Un bien est l’agencement de productions d'amont (actions ayant contribuées à l’apparition d’un bien sur le marché) et d'aval (l’articulation de toutes les actions ayant contribuée à l’utilisation et à la conservation d’un bien). À chaque fois sont investis du temps et du capital mais dans le premier cas seulement ces investissements ont des retours économiques. Tout se passe comme si, une fois que le consommateur est entré en action par son acte de paiement, il ne se produisait plus rien. La seule façon qu’il se passe à nouveau quelque chose serait qu’il revende le bien qu’il a acquis pour son usage. Alors un travail pourrait être à nouveau compté et générer un revenu.

LA PRODUCTION DANS L’ESPACE PRIVÉ
Le travail effectué gratuitement revendique d’être payé quand il obéit à la fois à une rationalité proche de celle d’autres travaux rémunérés (biens ou services), quand la précarité de ceux qui l’effectuent les incitent à transformer le statut de leur travail c’est-à-dire quand le bénéfice recherché n’est pas uniquement d’ordre intellectuel, affectif ou social. La sphère d’activité utilisant une rationalité similaire à celle du monde du travail est cependant assez large : elle concerne notamment une très grande partie des activités domestiques sans qu’une revendication au salaire soit effectué par ceux qui l’exécute. L’espace privé recourt à des rationalités similaires à celles mises en oeuvre en entreprise : pour produire de la propreté, du déplacement, de l’alimentation, plusieurs solutions peuvent être adoptées par le consommateur. Les dépenses de consommation peuvent être considérées comme des investissements en vue de maximiser le rendement du temps travaillé pour un somme d’argent donnée. «Dans l’affection du revenu aux biens de consommation il en est une partie qui va à de véritables moyens de production. Il en est ainsi de la voiture ou des appareils électro-ménagers. Sauf peut-être dans les cas très rares où l’individu possède une voiture uniquement dans le but de promener sa famille le dimanche, il est difficile de dire que la voiture est une fin en elle-même. Elle sert à l’homme d’affaires pour se rendre auprès de sa clientèle, à l’employé de bureau pour se rendre à son travail. La voiture est un moyen plus qu’une fin. De même, on n’achête poas un appareil ménager pour meubler sa cuisine (bien que la qualité des appareils ménagers soit un élément du niveau de vie du ménage). On achête un appareil ménager pour les services qu’il rend. Le travail qu’il fournit entre donc directement en concurrence avec celui qui est effectué par des travailleurs domestiques. Envisagé de cette manière, l’achat d’un appareil ménager correspond à une substitution du capital non humain au capital humain; cela se passe exactrement comme dans une entreprise où l’automatisation des chaînes de fabrication se traduit par une importance croissante des machines vis-à-vis de l’homme. C’est une même évolution qui incite les entrepreneurs et les ménages à abandonner progressivement les services rendus par les hommes. Cela confirmerait le fait que la différence entre les dépenses de consommation et celles d’investissement est de plus en plus théorique et de moins en moins vérifiable»(Gabriel Poulalion, Revenu et consommation discrétionnaires, Droz, 1975, p. 43).
Les investissements effectués ne sont pas considérés, dans la comptabilité nationale comme des dépenses d’investissement mais comme des dépenses de consommation. La rationalité de l’espace domestique est en ce sens exclu de l’espace du travail. C’est du travail gratuit.
Dans l’hypothèse ou ce travail domestique devrait être rémunéré, QUI devrait le rémunérer ? Qui profite de ce travail et qui en effectue la demande ? Il est clair que l’économie du travail domestique ne s’effectue pas dans un rapport d’offre et de demande. Mais est-ce la bonne façon de poser la question? On pourrait distinguer entre les activités domestiques à productivité sociale (telle que l’éducation ou l’entretien de ses propres enfants) et celle à bénéfice strictement privatif (entretien de locaux, nourriture). La question a été soulevée dans le premier cas d’une rémunération publique du travail à domicile (revenu pour l’éducation de ses propres enfants). Un tel revenu importe dans la sphère du travail et de la rationalité instrumentale des activités qui en sont en principe exclu : l’entretien et l’éducation de nos propres enfants n’est dans nos pays, en principe, pas considéré comme orientée vers un but économique mais effectué à titre gratuit (par amour, etc.). Quelle est la différence cependant entre l’éducation et l’entretien de ses propres enfants et la restauration de notre propre force de travail (qui est elle-même le produit d’un travail : loisirs, alimentation, courses au supermarché) ou encore notre implication dans la sphère politique (s’informer sur la réalité sociale et politique du pays, s’impliquer dans une association, un parti, une activité militante) ?
LE REVENU D’APPRENTISSAGE
L’apprentissage d’utilisation d’un bien est considéré comme une activité de consommation gratuite ou comme un travail d’apprentissage pouvant : (1) générer un revenu ou (2) coûter à l'étudiant.
S'il existe des formations ou l’on est rémunéré pour apprendre à manier un logiciel, l’activité d’un étudiant n'a jamais été considérée comme un travail (fournissant un revenu). Pourtant l’étudiant est potentiellement créateur de richesses sociales. Et les bourses qu’il peut éventuellement obtenir sont considérées comme des “aides” et non comme des “revenus”.

Pourquoi la consommation d’un cours de français ou d’informatique génère-t’il potentiellement des revenus et non le fait d’aller au cinéma, de regarder la télévision (comme le proposait déjà Godard) ou de porter des chaussures ? Tout se passe comme si s’opérait une différenciation entre des activités d’intérêt général, socialement et économiquement valorisables, et des activités d’ordre privées (porter des chaussures) socialement et économiquement sans valeur. La différence bien sûr est que la personne apprenant l’informatique est susceptible à terme de générer du service (ce qui n’est pas le cas d’une personne portant des chaussures). Une activité ne débouchant pas sur une transaction possible est donc une activité sans valeur sociale - autrement dit, une activité privée ou nulle. Et c’est parce que l’éducation ou la formation a une valeur sociale à terme que l’État rémunère parfois des étudiants en informatique (alors qu’il ne pourrait suivant l’argument de l’intérêt général rémunérer une personne portant des chaussures, pas plus qu’il ne pourrait fournir gratuitement des chaussures sous l’argument que les porter est l’objet d’un certain travail).


CONSOMMATION ET DOMINATION
André Gorz a bien montré les ambiguités possibles de la notion de fin du travail. Elle peut aller de pair avec un changement de sens du travail lui-même qui se déplacerait d’une activité de production à une activité de consommation : « La consommation [dans une perspective technocratique] doit devenir une occupation assimilable à un travail méritant salaire. Les individus doivent être payés en fonction de leur consommation de bien simmatériels dans la mesure même ou cette consommation est en même temps une activité productive : l’activité par laquelle les individus se produisent eux-mêmes tels que les biens consommés exigent qu’ils soient. Les marchandises achêtent leurs consommateurs afin que ceux-ci se fassent par l’activité de consommer, ce que la société a besoin qu’ils soient. C’est cette solution que, sciemment ou non “l’ordre marchand” tend à appliquer aux jeunes et aux vieux pour commencer (…). Les premiers sont rémunérés pour consommer des stages, des apprentissages, des enseignements et, de la sorte, s’auto-produire comme citoyens “normaux”, conformes dans leurs attentes et leur idéologie appartient à ce que la société leur demande d’être (…). Les vieux d’autre part, sont rémunérés pour accepter leur exclusion des activités sociales » (André Gorz, Les chemins du paradis, Galilée, 1985, p. 84).
« La production n’a plus et ne peut plus avoir pour but l’accumulation de capital et sa mise en valeur. Elle a maintenant pour but premier le contrôle de la société et sa domination. Les produits offerts ne le sont plus en vue de la maximisation des flux et des profits - notion qui perd son sens dans une société où les consommateurs sont payés pour consommer et les producteurs, une couche minoritaire. Mais en vue de la maximisation du contrôle et de la manipulation ils deviennent essentiellement des instruments de pouvoir aux mains d’une classe dirigeante dont le pouvoir n’est plus assis sur la propriété mais sur le contrôle de l’appareil de contrôle » (André Gorz, Les chemins du paradis, Galilée, 1985, p. 86).

JUILLET 2000

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