centre de recherche sur
la gratuité
Jean-Louis Sagot-duvauroux
Pour la gratuité
Essai
NON A LA PRIVATISATION
DU LOGEMENT SOCIAL !
Article paru le 12 octobre 2001 dans LíHumanité
Vendredi dernier, Alain Madelin propose quíaprès avoir payé leur
loyer pendant trente ans, les habitants du logement social deviennent propriétaires
de leur habitation. Devançant les vúux du leader libéral, le ministre
de la Ville (Claude Bartolone, PS) annonce dès lundi sa volonté de
financer sur fonds publics líacquisition privée de logements HLM. Par ailleurs,
plusieurs associations font campagne pour líinstauration díune CLU (Couverture logement
universelle), proposition qui a líoreille de Marie-Noëlle Lienemann , secrétaire
díÉtat au logement, comme elle nous lía díailleurs indiqué en juillet
dernier, lors díune réunion díinformation quíelle avait souhaité tenir
avec notre collectif. Les communistes doivent prendre très au sérieux
líimpact possible de ces propositions. La méfiance vis à vis du libéralisme
ou de la social-démocratie ne suffiront pas à convaincre un locataire
de 50 ans quíil est mieux pour lui de continuer à payer son loyer jusquíà
la mort, ni un sans abri de préférer líhypothétique instauration
díun revenu díexistence au bénéfice immédiat díun logement.
Regardons-y donc de plus près ! Derrière ce que propose Madelin et
ce quíamorce le gouvernement, il y a líatomisation et la privatisation du domaine
public de logements, cíest à dire au bout du compte líempire sans partage
de la spéculation financière sur un besoin essentiel de líexistence,
avec les effets ravageurs quíon connaît déjà, notamment la ségrégation
sociale et raciale de líhabitat. Les particuliers sont rendus au bras de fer inégal
avec les banques. Si les accidents de la vie les frappent, tant pis pour eux et pour
les copropriétés auxquelles ils appartiennent. Líappétit capitaliste
voit descendre sur lui la fabuleuse manne financière que représentent
potentiellement ces 25 % du parc de logements qui échappait encore pour une
part à la furia du marché. Il renforce díautant sa dictature sur la
vie sociale. Les collectivités territoriales élues perdent un de leurs
principaux moyens de peser sur la politique de la ville.
La CLU ne ressortit pas à la même logique. Elle crée un filet
de sécurité pour les plus pauvres et de ce fait améliore positivement
líétat actuel des choses. Faute de mieux, nous la soutiendrions sans état
díâme. Mais à elle seule, elle reste une mesure spécifique en
direction des sans abri. La CLU est compatible avec la privatisation Madelin !
Il se trouve que le grand service public de logement et les dispositifs de gratuité
à propos desquels nous avons engagé depuis plusieurs mois un vaste
et passionnant débat oppose à ces propositions de la droite et des
socialistes une alternative communiste articulée, potentiellement mobilisatrice
et immédiatement faisable. Rappelons-en les grands axes :
1/ Le service public de logement est ouvert à tous, sans condition de revenu
ni par le haut, ni par le bas.
2/ La gratuité du logement est de droit dans les moments de la vie où
les revenus sont trop faibles pour payer un loyer.
3/ Dans les moments de la vie où les revenus le permettent , líhabitant cotise
à un " compte díaccès à líusufruit "; les paiements
síarrêtent lorsque le coût du logement est atteint ; ils sont adossés
à un service public du crédit permettant díadapter líétalement
et le montant des mensualités. Les logements du service public ne peuvent
devenir un moyen de se faire de líargent - on ne peut ni les vendre, ni les louer
-, mais líusufruitier en a le plein usage.
4/ Les charges et líentretien restent payants pour chacun, collectivement gérés
par les habitants et protégés contre les risques graves par une assurance
mutuelle.
Pratiquement, cela signifie que nous sommes tous couverts contre le risque díêtre
à la rue, que síil peut, líusager du service public paye son logement et en
use comme un propriétaire, quíil le paye sans avoir à se priver de
tout, que son droit au logement níest pas à la merci díun revers de fortune,
quíil bénéficie díun vaste système mutualisé permettant
par exemple díéviter líécroulement qui guette les copropriétés
assaillies de problèmes, quíil peut changer de logement en conservant le bénéfice
de son investissement, quíil peut investir sans renforcer le capitalisme qui líexploite,
que le service public du logement retrouve son attrait face au marché privé
et au modèle de société qui le sous-tend, que les citoyens peuvent
user díun nouvel outil pour peser ensemble dans les rapports de force en faveur díune
vie urbaine humanisée et solidaire. En bref, une forme novatrice et moderne
de propriété respectant jusquíau bout líusage privé du logement
et protégeant néanmoins ce que líhabitat et la vie en ville nécessitent
de choix collectifs. Ajoutons que sans le vouloir, les défenseurs de la CLU
comme les experts de Bartolone et Madelin témoignent quíune telle révolution
est pratiquement possible.
Maintenant que les propositions alliées ou adverses sortent du bois, nous
pensons quíil faut prendre position. Nous avons constaté lors de nombreux
débats que notre point de vue pouvait alimenter efficacement la réflexion
des communistes, trouver un solide écho dans la société et peut-être
devenir un axe fort pour une politique communiste de líhabitat et de la ville. Cíest
pourquoi il nous semble nécessaire de lever certaines ambiguïtés
qui subsistent et dont beaucoup sont exprimées dans les " Éléments
de réflexion pour un projet communiste ". Le texte de préparation
du congrès fait écho au " débat engagé autour de
la gratuité ", mais dans le chapitre 6 intitulé " Les damnés
de la terre " et non, comme on aurait pu líattendre, dans le chapitre 7 "
Contre la loi inhumaine de líargent ".
Il interroge: " Est-ce une réponse pour les plus pauvres ? Un facteur
alors de ghéttoïsation ? "
Non ! La caractéristique essentielle de la gratuité níest pas de panser
les plaies des plus pauvres, mais díécarter pour tous la " loi inhumaine
de líargent " dans la satisfaction díun besoin ou la prévention díun
risque.
" Créer des espaces de gratuité comporte-t-il ou non des effets
pervers ? "
Bien sûr que oui. La sécurité sociale a des effets pervers évidents.
Elle entraîne certains gaspillages spécifiques et peut-être inévitables.
Mais dans líensemble, la société considère sans trop díétats
díâme que ces gaspillages sont largement préférables aux gâchis
humains terrifiants que provoque la régulation marchande de líaccès
aux soins là où elle est à líúuvre.
" Comment garantir que cet objectif ne détourne pas de líessentiel :
la critique et le dépassement du marché capitaliste ? "
Existe-t-il une façon plus radicale de critiquer en acte le marché
capitaliste que díen anéantir la contrainte sur un domaine de líexistence
et donc sur un champ de líéconomie ? En permettant líintériorisation
par la société quíun besoin humain peut être solidairement géré,
les grandes gratuités créent un rapport de force très défavorable
aux appétits capitalistes. Il a été relativement aisé
de privatiser le Crédit Lyonnais ; chacun devine que ça serait plus
problématique pour líÉducation nationale !
" Comment éviter que la gratuité se transforme en passivité
? Ce processus est-il même envisageable sans pousser plus loin la citoyenneté
? "
Lorsque la IIIe République instaure líécole gratuite, les ultras de
tout bord annoncent un effondrement la société au motif que les enfants
perdront la saine reconnaissance due aux parents ainsi déresponsabilisés.
Rien de tout ça níest arrivé : quand elles viennent répondre
concrètement à une incapacité du marché, les gratuités
deviennent un élément moteur pour la construction de la conscience
civique.
Oui, nous avons voulu placer dans une perspective de gratuité notre proposition
de service public du logement parce que nous croyons essentiel de donner des repères
et des raisons communistes à ceux qui se reconnaissent dans le communisme.
Et devant líattrait possible des mesures aujourdíhui proposées par Madelin
ou Bartolone, ce choix pourrait bien constituer un utile moteur critique chez tous
ceux qui ne font pas confiance aux lois du marché pour décider de leur
vie et de leur ville. Les communistes ont joué naguère les premiers
rôles dans la naissance si concrètement bénéfique du système
de logement social. Devant la crise quíil connaît aujourdíhui, et face aux
attaques frontales ou biaisées qui veulent remettre en cause la maîtrise
sociale de la ville et de líhabitat, la simple défense du statu quo serait
une impasse. Mais du fait de leur expérience, de leurs convictions, de leur
enracinement populaire, de leur engagement, les communistes sont bien placés
pour imaginer et mettre en úuvre un grand service public du logement qui éloignerait
de la contrainte marchande la satisfaction díun besoin si essentiel et élargirait
le champ des solidarités urbaines.
Bernard Birsinger, député-maire de Bobigny.
Niamoye Diarra, élue du XIIIe arrondissement de Paris.
Jean-Claude Mairal, enseignant, ancien président du Conseil général
de líAllier.
Fabienne Pourre, vice présidente du Conseil national du PCF
Jean-Louis Sagot-Duvauroux, philosophe.
Malika Zédiri, responsable nationale díun mouvement contre la précarité.
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