Jean-Louis Sagot-duvauroux
Pour la gratuité
Essai
GRATUITE DU LOGEMENT, SUITE
Article paru dans LíHumanité du 6 juin 2001
Notre prise de position en faveur de la gratuité du logement social a
provoqué un intense et passionnant débat, tout díabord avec
les gens que nous cotoyons, puis dans LíHumanité qui a publié
plusieurs réactions argumentées, certaines favorables, díautres
opposées, mais toutes très politiques au grand sens du terme. Ces réactions
nous amènent à préciser le comment et le pourquoi du bouleversement
que nous proposons.
Tous les intervenants notent le blocage du système actuel de logement social
et la plupart évoquent les effets de ce blocage sur la question plus vaste
de la vie en ville, avec les déchirures menaçantes que nous connaissons
tous. Notre proposition vise à donner une issue communiste à ce blocage.
Communiste dans son principe : assurer enfin líaccès effectif de tous
au bien vital quíest le logement. Communiste dans son point de vue de classe
: faire reculer líexploitation capitaliste en assurant une répartition
moins brutalement injuste des fruits du travail. Communiste par rapport aux solutions
cosmétiques qui trop souvent, sous la rubrique " politique de la ville
", entérinent la fatalité díune société à
deux vitesses, faisant comme si la revendication pour les moyens de vivre décemment
níétaient pas, aujourdíhui encore,díune forte actualité.
Dans sa riche intervention, Alain Bertho propose " líabolition du logement
social comme logement catégoriel " et la " fondation d'un vrai service
public du logement ". C'est dans la cohérence de ce que dessinait notre
appel en faveur de la gratuité du logement social, mais beaucoup plus clair
tant dans la formulation que dans la perspective. Oui, allons jusqu'au bout de l'idée
et passons à ce "service public du logement" à disposition
de tous ceux qui le souhaitent. Nous reprenons donc à notre compte cette notion
qui ouvre à líesprit líespace adéquat pour penser la
gratuité. Merci camarade !
Plusieurs réactions opposées ont évoqué une différence
qui leur semblait majeure entre le logement díun côté, la santé
ou líécole de líautre : le service public du logement ne concernerait
quíune minorité de personnes, tandis que la sécurité
sociale ou líécole publique touchent tout le monde. Cela mérite
discussion. Líécole gratuite est un service public pour lequel tout
le monde contribue, mais qui ne fait faire díéconomies quíaux
familles ayant des enfants. Une personne en bonne santé paye toute sa vie
ses cotisations pour les accidentés de la route ou les malades chroniques.
Cíest la dynamique qui a basculé. Considérant quíexclure
de líaccès à ces biens vitaux une partie du peuple níétait
pas acceptable, que cíétait même révoltant, la société
síest organisée pour que ces droits soit assurés en toute occasion,
et le principe de gratuité est apparu comme le seul moyen díy parvenir.
Jusque là, le marché gérait líaccès à ces
biens. Il le faisait mal. Pressée par les luttes des exclus de cette répartition
marchande, la société a pris collectivement les choses en main. Cíest
dans cette dynamique là que nous proposons de placer la question du logement
et de la ville. Nous devons cependant prendre en compte le fait que líaccession
à la propriété, aujourdíhui majoritaire, a díune
certaine façon déjà résolu le problème pour tous
ceux qui ont hérité de leur logement ou fini de le payer. Une grande
majorité de ces propriétaires font partie des classes exploitées
par le capitalisme. Nous ne pourrions réunir les forces sociales nécessaires
pour imposer le bouleversement que nous proposons si cette donnée níétait
pas prise en compte. Nos contradicteurs ont raison díindiquer que le service
public du logement pourrait alors apparaître comme discriminatoire, devenir
un mode de logement " pour pauvres " et finalement être rejeté
par le peuple. Camarades, merci !
Líensemble de ces réactions nous ont donc amenés à formaliser
davantage notre proposition, à la préciser et à la modifier
en certains points. Mais cíest toujours pour apporter à la discussion.
1/ Il faut instituer une sécurité sociale du logement.
Le service public doit sans détour assurer le droit au logement inscrit
dans la loi, même à ceux qui se trouvent dépourvus de ressources.
Plutôt que le système allocataire actuel et díailleurs avec des
moyens financiers de montants analogues (APL, 1% patronalÖ), nous proposons
que soit purement et simplement reconnue la légitimité díun
accès gratuit au service public du logement. En clair, le jour où líon
nía pas les moyens de payer, on doit néanmoins disposer díun
toit. Aucune condition de ressource ne doit interdire líaccès au service
public du logement. Aucun accident de la vie - rupture avec ses parents, chômage,
divorce, maladie, dépression, handicap, condamnation pénaleÖ-,
rien ne doit faire de soi un sans-abri. Au dessous díun minimum de revenus,
líaccès au logement est gratuit de droit. Sorte de sécurité
sociale du logement, cette gestion solidaire du risque díêtre un jour
sans toit, risque que bien peu díentre nous sont en situation díexclure
a priori, est un pas nouveau que peut aujourdíhui franchir la civilisation
française.
2/ Le service public du logement ne doit en aucun cas être moins favorable
à ses usagers que líaccession à la propriété.
Heureusement, les situations de détresse qui doivent immédiatement
se traduire par líaccès gratuit au logement sont minoritaires. Elles
sont aussi très souvent momentanées. Nous proposons que les usagers
du service public du logement qui ont les moyens de contribuer à son financement
le fassent sous la forme díune sorte de leasing social, le " compte díaccès
à líusufruit ". Lorsque les sommes versées à ce
compte atteignent le coût du logement, le cotisant acquiert le droit à
líhabiter gratuitement au même titre quíun accédant à
la propriété. Pas de surloyer. Pas de ces situations où dès
quíon arrive à un revenu à peine décent, il devient plus
intéressant de quitter le HLM. Donc moins de ségrégation sociale
et de ghettos. Si le cotisant doit changer de logement et síil reste dans
le cadre du service public, il conserve le bénéfice de ce compte. Si
momentanément ses revenus baissent au dessous du plancher minimum, il bénéficie
de la gratuité. Dès quíil retrouve une situation normale, il
reprend les versements. Le dispositif accompagne les hauts et les bas de líexistence,
atténue les accidents de la vie.Il constitue également un moyen non
spéculatif et anticapitaliste díépargne-retraite. Il se traduit,
quand síarrêtent les versements, par une augmentation sensible du revenu
disponible. Sous réserve des aménagements sociaux que légitime
sa contribution à líintérêt général (taux
bancaires adaptés, maîtrise publique du foncier urbain, garanties publiquesÖ),
son financement permet díassurer, de façon díailleurs très
classique, le développement du parc de logements. Sa perspective est la gratuité
: gratuité immédiate quand on nía pas les moyens de payer ;
gratuité différée quand on contribue au compte díaccès
à líusufruit ; avancée décisive vers la gestion mutualisée
du droit au logement dont rien níinterdit par principe quíelle síarrête
au compromis que nous proposons.
3/ La responsabilité financière et morale de líentretien
est rendue aux habitants.
Le système actuel de logement social est souvent vécu comme hostile,
comme un signe humiliant de position subalterne. Incapable díassurer vraiment
le droit au logement, mais concentrant néanmoins les familles pauvres, il
apparait comme un des éléments de la machine à créer
de líinégalité et de la ségrégation. Mal aimé,
il est mal tenu. Líinstauration díun vrai service public de logement
change la donne. Nous proposons que la gestion effective de líentretien revienne
aux co-usufruitiers comme cíest le cas pour les copropriétaires. Les
charges ne bénéficient pas de la gratuité. La responsabilité
financière de chacun est donc directement sollicitée, mais à
un niveau supportable par tous, et dans des conditions générales díaccès
au logement qui renforcent líattachement à son chez-soi. Cette responsabilité
directe des usagers confirme leur égale dignité, quels que soient les
moyens dont ils disposent. Elle impose à chacun le même souci de líintérêt
commun, souci qui peut díailleurs être formalisé de façon
contractuelle. On ne peut pas perdre son logement parce quíon a perdu ses
revenus, mais líaccès au service public du logement implique díen
accepter les règles.
4/ Le service public du logement doit constituer un contrepoids attrayant, crédible
et puissant à la gestion spéculative du foncier et de líimmobilier.
La grande majorité des foyers, quíils soient locataires du parc
de logements sociaux, propriétaires de leur habitation ou locataires du privé,
font usage de leur logement de façon toute simple et très normale :
en líhabitant. Une petite minorité - spéculateurs fonciers et
immobiliers, bailleurs privés - usent de ce bien vital comme díun capital
quíils níhabitent pas mais mettent sur le marché dans le but
de faire de líargent. Or cette petite minorité a imposé ses
règles de fonctionnement et ses représentations à líensemble
de la société. On voit des quartiers pauvres et des quartiers riches,
des concentrations de familles accablées par les problèmes, la ségrégation
raciale, líapparition díune école à deux vitesses, on
se dit que cíest comme ça, quíon níy peut rien, quíil
faut se soumettre à cette réalitéÖ Non ! Nous pouvons renverser
cette situation destructrice pour líharmonie de la vie urbaine. Le renversement
que nous proposons donne aux usagers les mêmes avantages que la propriété
privée. Il est díailleurs plus souple pour ceux qui ont à déménager
ou à síagrandir. Et ce puissant service public peut bien, pourquoi
pas,
tendre fraternellement la main aux petits accédants à la propriété
dans leur bras de fer inégal avec les banques. Mais il exclut tout usage spéculatif
comme la vente ou la location. De ce fait, et parce que bénéficier
dans ces conditions díun logement du domaine public peut redevenir très
attrayant pour un large éventail de la population, le poids relatif du capital
foncier et immobilier est attaqué, des marges de manúuvre plus importantes
sont laissées à la collectivité et à ses élus
pour décider de la ville quíils veulent.
Est-ce communiste . Est-ce souhaitable ? Est-ce possible ? Pour tous une assurance
sociale contre le danger díêtre sans toit. Pour ceux qui en ont les
moyens, un système souple de versements permettant de financer la production
de logements et leur donnant au bout du compte líusage gratuit de leur habitation.
Une mutualisation de líaccès au logement qui fragilise la domination
du capitalisme sur ce secteur et partant sur líensemble des champs quíil
convoite. Un avantage évident pour les bénéficiaires, qui sont
fondés à reconnaître dans la force politique proposant une telle
avancée un vrai défenseur du travail contre le capital. Au bout du
compte, après líinstruction des enfants et líaccès aux
soins, un champ nouveau de líexistence qui sort de la précarité
marchande Ö
Ça ne se fera pas sans lutte. Mais il y a les millions de foyers qui ont déja
payé une, deux, trois fois le prix de leur logement et voient ainsi la possibilité,
alors quíils avancent en âge, díêtre libérées
de leur loyer. Il y a les jeunes qui ne gagnent pas encore leur vie mais níont
plus líâge díhabiter chez leurs parents, qui souvent vivent déjà
en couple, parfois ont des enfants. Il y a ceux pour qui la menace de perdre son
logis accable encore des perspectives de vie chancelantes et qui savent combien la
sécurité sociale du logement les aiderait à tenir le coup, puis
à remonter la pente. Il y a les familles pénalisées par un surloyer
qui préfèrent, dans les conditions actuelles et quand elles en ont
les moyens, se mettre un lourd crédit sur le dos et acheter leur logement.
Il y a celles qui renoncent à " faire ville " avec la cité
dite sensible, qui changent de quartier, pour les enfants, à cause de líécole,
mais la mort dans líâme, car elles savent bien que cíest contre
líavenir. Il y a les familles qui restent là parce quíelles
níont pas la couleur quíil faut et quíon níaccepte mal
les Noirs et les Arabes ailleurs. Il y a le rassemblement possible des classes exploitées,
elles qui produisent toute la richesse du pays, rassemblement sans distinction díorigine
ni de couleur, pour une transformation directement bénéfique à
leur bien-être et à líharmonie de la nation. Ça síest
déjà vu. Ça a déjà marché. Les communistes
en étaient. On remet la machine en route ?
Bernard Birsinger, député-maire de Bobigny.
Niamoye Diarra, élue du XIIIe arrondissement de Paris.
Jean-Claude Mairal, enseignant, ancien président du Conseil général
de líAllier.
Fabienne Pourre, vice présidente du Conseil national du PCF
Jean-Louis Sagot-Duvauroux, philosophe.
Malika Zédiri, responsable nationale díun mouvement contre la précarité.
POST SCRIPTUM
Pour la bonne bouche, voici un article paru dans Le Monde, supplément
"Argent" du 20 - 21 mai 2001. Il prouve a contrario la nécessité
impérieuse et la faisabilité immédiate de notre appel à
la gratuité dans le logement.
INVESTIR DANS LE "TRES SOCIAL"
Alain R., cadre d'entreprise, a créé en octobre 1998, avec un
ami, une société civile immobilière (SCI) et acheté un
vieil immeuble de dix logements situé sur les pentes à La Croix Rousse,
à Lyon. L'achat a coûté 2,2 millions de francs, frais compris,
et les travaux 4,2 millions de francs, le tout financé par un prêt banchaire
de 4,2 millions de francs et des subventions de l'Agence nationale pour l'amélioration
de l'habitat (ANAH) de 2,2 millions de francs."Les travaux ont duré
plus d'un an ; nous avons tout cassé et redistribué, en créant
quinze logements, soit mille mètres carrés habitables, refait les parties
communes et installé un ascenceur", dit Alain R. Les subventions de
l'ANAH ont été accordées contre la signature, avec l'Etat, d'une
convention de dix ans imposant d'accueillir les locataires aux ressources modestes
et de pratiquer un loyer réglementé d'environ 30 francs mensuels le
mètre carré. Les loyers, 30 000 F par mois, ne couvrent pas les charges
mensuelles de 32 000 francs, dont 30 000 francs alloués au remboursement du
prêt. L'opération génèrera un déficit foncier durant
dix ou douze ans, que les deux associés pourront défalquer de leurs
revenus imposables à hauteur de 70 000 F chacun, par an, ou reporter. La gestion
est confiée à un administrateur de biens qui perçoit des honoraires,
environ 6 % des loyers. Le risque d'impayés est faible : les locataires bénéficient
de l'aide personnalisée au logement couvrant environ les deux tiers des loyers
et versés aux bailleurs.
Très bonne rentabilité brute
"Après dix ans se posera la question de poursuivre la convention
ou d'en sortir, prévoit Alain R. Cela dépendra de l'estimation
du prix de vente de l'immeuble lui-même, mais nous pensons que ce quartier
encore populaire va se valoriser". Aujourd'hui, l'immeuble vaut entre 5,5
millions et 6 millions de francs, soit un peu moins que le coût de revient
de l'opération, mais il procure une très bonne rentabilité brute,
de 8,3 % sur les fonds empruntés.
Isabelle Rey-Lefebvre
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