Jean-Louis Sagot-duvauroux
Pour la gratuité
Essai
GRATUITE DU LOGEMENT SOCIAL !
Appel paru dans LíHumanité du 12 avril 2001
Au cours de son développement, la civilisation française a mis
au point des dispositifs permettant líaccès gratuit ou quasi-gratuit
à des biens essentiels comme líinstruction publique, la santé
ou les services proposés par ce quíon a longtemps appelé le
" communisme municipal ". Bien que ces conquêtes historiques comportent
de graves imperfections renforcées par les inégalités qui subsistent,
elles ont profondément adouci, solidarisé et humanisé la société.
Elles ont aussi élevé le niveau moral et politique du pays. Líécrasante
majorité des gens adhèrent au principe quíen France, tout enfant
doit avoir accès à líinstruction quel que soit le niveau de
vie de ses parents, et que chacun doit pouvoir bénéficier des progrès
de la médecine. Nous y voyons des pas importants en direction díune
société où nul ne pourrait être privé des biens
qui assurent la satisfaction de ses besoins vitaux, où chacun y aurait un
égal accès et où la prospérité serait au bénéfice
de tous, objectif que nous appelons pour notre part le communisme.
Désormais, la gratuité de líécole ou les remboursements
de la Sécurité sociale apparaissent au plus grand nombre comme des
évidences. Il níen a pas toujours été de même et
il a fallu des circonstances historiques exceptionnelles - combats pour le rétablissement
de la République, Libération de la France et du fascisme - pour que
le mouvement de la société líimpose aux forces qui y étaient
hostiles. Aujourdíhui encore, dans des pays comme les Etats Unis, ou pour
díautres raisons dans les pays les plus pauvres, líaccès à
ces biens est fonction des moyens financiers et de la position sociale des familles.
On y meurt à la porte des pharmacies et les grands laboratoires privés
mettent en procès ceux qui défendent le droit de la vie sur celui de
líargent. Car les conquêtes de gratuité, parce quíelle
nous libèrent du pouvoir écrasant du marché capitaliste, sont
toujours líobjet de durs affrontements entre la masse de ceux quíil
opprime et le puissant groupe de ceux qui en profitent.
Si la sécurité sociale, dont le budget est aussi important que celui
de líEtat, ou líEducation nationale, première entreprise de
France, ont pu échapper pour une part à la loi du marché qui
réserve impitoyablement les fruits du progrès à ceux qui ont
les moyens de se les offrir, pourquoi díautres biens vitaux ne pourraient-ils
pas, eux aussi, être solidairement gérés par la société
et gratuitement proposés à ceux qui en ont besoin ?
Aujourdíhui, le droit au logement est inscrit dans la loi, mais il apparait
comme une supercherie politicienne, car le poids du marché sur le secteur
de líhabitat empêche pour beaucoup que ce droit entre dans les faits.
Le système des HLM connaît une crise profonde : inaccessible aux plus
pauvres parce quíils sont trop pauvres et aux classes moyennes parce quíelles
ne le sont pas assez, couvert de rustines, secoué par des politiques délibérées
de ségrégation sociale et raciale, parfois détourné par
la corruption et le copinage, avec des cités à la dérive où
les appartements vides côtoient ceux quíhabitent des locataires insolvables,
il níest plus en mesure díassurer le droit au logement et sa défaillance
provoque de graves déchirures dans le tissu des villes, rejetant de fait hors
de la vie de la cité des parts importantes de la population et de la jeunesse,
notamment celle qui a des attaches familiales dans les anciennes colonies. Mais en
même temps monte dans la société líidée simple
quíil níest pas normal, dans un pays développé comme
la France, que le logement ne soit pas assuré pour tous, quelles que soient
les situations sociales ou les accidents de líexistence.
En nous appuyant sur les forces populaires que le capitalisme prive du bien-être
rendu possible par le développement des forces productives et en nous inscrivant
dans le grand mouvement de civilisation qui a conduit la société française
à conquérir le libre accès à des biens essentiels, nous
voulons engager le combat pour la gratuité du logement social.
Nous pensons que la gratuité du logement social níest pas par nature
plus inaccessible que celle de líécole ou le remboursement des frais
hospitaliers, quíelle est une urgence de notre époque, que la société
qui construit des ponts pour assurer la libre circulation des biens et des personnes
peut aussi construire des maisons pour que tous aient un toit. Nous nous demandons
pourquoi les locataires du domaine public devraient payer éternellement, tandis
que ceux qui ont les moyens díacheter leur logement ou la chance díen
hériter en jouissent ensuite gratuitement à líexception des
charges de líentretien ?
Nous pensons que la gratuité du logement social est finançable notamment
par une remise à plat de la gestion de líimmense parc existant, par
une utilisation appropriée des cotisations sociales et de líimpôt
en forte hausse depuis la reprise économique, par une nouvelle répartition
du système díallocations et díaides diverses, par la maîtrise
publique du foncier urbain, par la taxation des profits immobiliers, par la réquisition
des logements inutilisés pour raisons spéculativesÖ
Nous pensons que la gratuité du logement social permet díengager la
lutte contre líexclusion, notamment en supprimant les conditions de ressources
vers le bas et en les élargissant vers le haut ou en sortant díun système
díaide qui stigmatise les allocataires et sectionne les catégories
sociales. Nous pensons que la gratuité aide à renouer les liens entre
les différentes parties de la France populaire pour un objectif qui met chacun
à égalité.
Parce quíelle donne à ceux qui les occupent le total usufruit de leur
habitation, nous pensons que la gratuité du logement social ouvre sur des
formes nouvelles de responsabilité individuelle et collective. Ce bien, hormis
le droit díen faire de líargent par la vente ou la location, les habitants
en ont la pleine jouissance et donc ils assurent ensemble la charge morale et financière
de son entretien. Nous pensons quíil peut y avoir, à travers cette
autogestion, une voie pour reconstruire de façon dynamique du lien social
et de la citoyenneté, un moyen de rompre le sentiment díhostilité
que provoque líhabitat quand il est vécu comme un signe extérieur
de position subalterne.
Nous pensons que certaines situations díurgences permettent aux collectivités
locales et à leurs habitants de mettre en route sans délai des expériences
de gratuité du logement social, expériences qui pourront servir de
point díappui pour le développement díun mouvement populaire
en faveur de cet objectif.
Nous pensons que la question du logement et plus généralement de líhabitat
urbain est un des domaines où les dégats causés à la
vie sociale par la loi du marché sont si lourds, si évidents, si ressentis,
si menaçants pour notre bien être et notre sécurité, si
destructeurs pour toute une partie de la jeunesse, quíil faut que les citoyens
et leurs élus en reprennent díurgence et solidairement la maitrise.
Nous pensons que sur ce point, si un mouvement puissant et articulé se développe,
le rapport de force peut changer et permettre des transformations décisives.
Nous pensons quíarracher à la dictature de líargent et à
líappropriation marchande un secteur aussi important de líexistence
est un moyen de relancer concrètement la construction díavancées
communistes dans líorganisation sociale.
Nous pensons que les idées avancées ici ne sont que líamorce
díun chantier, quíelles ne se développeront pas sans être
bousculées, affinées, atténuées peut-être, ou radicalisées,
quíelles se heurteront à de fortes contradictions, même entre
ceux qui les portent, quíelles ne prendront vraiment forme que dans le mouvement
des luttes et de líhistoire, mais quíelle valent quíon tente
le coup. Nous croyons que le marché capitaliste ne ferme pas líhistoire
des hommes.
Les signataires
Bernard Birsinger, député-maire de Bobigny.
Niamoye Diarra,
Jean-Claude Mairal, enseignant, ancien président du Conseil général
de líAllier.
Fabienne Pourre,
Jean-Louis Sagot-Duvauroux, philosophe.
Malika Zédiri, responsable nationale díun mouvement contre la précarité.
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